Le grand Tout
Petit abrégé de maths à l’intention des humains.
Aube des idées émergentes
Le soleil levant colore la nuit en teintes chaudes
C’est le moment de l’espoir;
les équations jusqu’ici insolubles trouveront peut-être enfin leur solution.
Elles sont au nombre de sept :
- Y a-t-il une limite à l’escalade des processus ?
- Le déroulement des jours doit-il être une fonction périodique ?
- La fonction conscience est-elle croissante en fonction du temps ?
- Le polygone des contraintes imposé par la société permet-il à l’individu un réel épanouissement?
- Bulles, pluies et vent: comment les saisir ?
- Où est l’inconnue ?
- Quelle est la dimension des dimensions ?
Le froid est saisissant ce matin; malgré tout, la nature est si belle. Au milieu de l’émerveillement, y a-t-il encore une place pour la pensée ?
1) Y a-t-il une limite à l’escalade des processus ?
Il semblerait que non; les conflits viennent de ce qu’aucun des deux protagonistes ne parvient à rompre l’escalade des réactions, œil pour œil, mots pour mots, bâton pour bâton, et dent pour dent. Dans les conflits nous devenons robots cherchant le dernier mot. Nous devenons processus mental qui n’a de cesse de vaincre autrui. Il semblerait qu’il n’y ait pas de limite à cette escalade, jamais, ni dans le monde, ni dans nos petites vies. Tu frappes je réponds tu transgresses je t’agresse tu tires je te fais taire tu insultes je catapulte tu protestes je t’expulse.
Stop.
Cesser de réagir de répondre de blesser d’être esclave de nos pensées. Regarder écouter attendre et dire c’est assez, tendre la main pour enfin mettre fin à ces guerres à ces doutes à la haine et aux murs qui séparent qui limitent qui enferment et qui figent les ténèbres.
Le soleil pose ses premiers regards sur le monde comme le maître chez Miyazaki (1). Il embrasse ses forêts ses lacs bleus ses oiseaux. Dissous les mots, les pierres, les larmes…
2) Le déroulement des jours doit-il être une fonction périodique ?
J’me lève, j’enfile mon sweat, j’arrive en retard, voilà, dix mille heures de cours, un tableau noir qui se remplit et puis s’efface et recommence; je préfèrerais un ciel bleu qui se remplit d’arc en ciel puis se vide à nouveau, transparent. Et toujours le même rythme, regardez moi dit la télé, écoutez moi dit le portable, respire moi dit l’air, on dirait que tout s’enroule comme la droite des réels autour du cercle trigo, tout le temps, toujours pareil, les mêmes angles, les mêmes perspectives, les mêmes points de vue, ça tourne, ça baigne mais qui suis-je dans ce pareil au même ?
La lumière du matin se développe; naissance du monde, un cerf passe et ne me regarde pas; le monde au moins sait il que je suis là ? Tout renaît, tout est neuf et tout m’ignore.
3) La fonction conscience est-elle croissante en fonction du temps ?
Il semblerait que non, encore une fois. Parce que Cromagnon branché sur notre technologie n’agirait sûrement pas plus sauvagement que ceux qui, bien que nés au XXème siècle, détruisent, blessent, vendent trafiquandent et contrebandent, exacerbent les désirs de revanche.
Dimanche un enfant sur l’eau qui fait la planche, il rêve « peut-être que si je me concentre sur les reflets joueurs du soleil entre les vagues, je vais éclairer mon esprit des lumières irisées et devenir plus sage »
Stop, pourquoi toujours plus de moyens et jamais plus de sagesse ? Il est urgent de penser poétiquement, de revisiter nos ambitions avec une conscience plus naïve plus fraîche plus directe plus aimante. Se laisser mener un peu par le rêve, partir à la dérive, je positive…
Le jour s’impose, les mystères de la nuit puis de l’aurore cèdent la place à la claire conscience; je te vois, tu me vois, qui sommes nous l’un pour l’autre à présent que le mystère s’est dissipé.
4) Le polygone des contraintes imposé par la société permet-il à l’individu un réel épanouissement?
Oui: libre de penser, libre d’opiner, libre d’écouter la télé et de répondre au grand ciel vide par un cri que seul l’écho entendra. Libre d’acheter, libre de passer le temps quand il passe sur toi. Libre de désirer être libre, libre de rêver de l’inouï pour éloigner le premier pas qu’on fait vers lui. À quand la fin de tous les polygones, à quand leur déconstruction, jetons tous les segments, les barreaux de prison aussi en sont. Vivent les courbes, le vol d’un aigle en spirale, le creux d’une vague sauvage, le cou d’un cygne qui glisse sur l’eau sans savoir qui il est, l’œil d’un enfant qui regarde vers demain comme on regarderait une autre planète.
Jours brouillés, fraîcheur de brumes, mon regard gris a oublié l’aurore et la couleur du feu; où regarder à présent… nulle part… on ne retrouve pas l’heure perdue par un simple coup d’œil; être; attendre; dégriser peut-être…
5) Bulles, pluies et vent: comment les saisir ?
Bulles de savon, de poisson, d’eau pétillante… les idées semblent émerger de notre pensée comme ça, sans contrôle, et tu ne sais ni d’où elles viennent ni comment elles arrivent. Sauvages. Indéchiffrables. L’écheveau des pensées serait-il inextricable ? Et dans le monde les idées vont et viennent d’une tête à l’autre, deux chercheurs éloignés qui trouvent le même résultat au même moment; un poète, un matheux inventent en même temps la même idée, traduite par des mots différents. Et s’en vont et s’en viennent les tendances et les nouveaux schémas, alizés, brises ou tramontanes de notre pensée. Et toi, comment vas tu t’intégrer à la créativité des hommes ? Comment vas-tu apporter ta pierre, ta goutte de lumière ta perle de verre…
Respire dit l’hippocampe
ferme les yeux dit la pluie
et avance sans désir
les yeux fermés,
aveugle aux lèvres d’or qui marche sur la neige (2)
La nostalgie de l’aube cède le pas au désir du crépuscule, retrouver à l’envers le moment merveilleux entre jour et nuit, silence et parole, tout et rien; l’attendre à rebours. Il viendra. S’il vient…
6) Où est l’inconnue ?
L’inconnue est derrière toi, dans la nuit qui t’a précédé. Avant que tu n’ouvres les yeux on pouvait voir tes étoiles mais tout a disparu. Tu as chassé x, tu as essayé de l’éliminer des équations de ta vie; tout te pousse à dire enfin, peignons le réel à la lumière de ce que l’on sait, restreignons notre horizon pour avoir une vie cadrée, soyons bien stable au milieu de nos quatre points cardinaux, au-delà ça n’existe pas.
Effacées les traces de pas sur le sable, le mystère est perdu, perdu; tu as essayé le produit en croix, la mise au carré, l’identification, la dérivation, mais rien n’y fait
Fin d’après midi, les sens en éveil, la nature tout entière vibre de l’approche de l’instant magique; l’instant où l’obscur va englober le clair, où l’espace va avaler le temps, où demain va avaler aujourd’hui. La source où disparaîtra tout ce que tu as créé, imaginé, dessiné, projeté pendant la journée; le dernier point de la droite; l’ultime horizon du plan; les limites inaccessibles de l’espace à trois dimensions.
7) Quelle est la dimension des dimensions ?
Dimension 1, tu glisses entre deux contraires sans pouvoir sortir de l’alternative. Dimension 2, tu nages entre abscisses et ordonnées, entre réel et imaginaire,et tu escalades les courbes asymptotiques. Dimension 3, tu ouvres le ciel sur l’axe des z, dimension 4 tu mélanges le temps et l’espace, dimension 1001 tu te meus dans l’enfance et retrouves les grands mythes, dimension cent milliard, une âme pour chaque étoile (3).
Dimension des dimensions, où s’arrête la course folle vers la complexité de la conscience… Qui sait ? Désirer savoir… Savoir désirer…
Nuit déjà;
tu n’as rien vu venir;
aucune clochette n’a résonné pour te prévenir
de l’instant qu’il fallait frémir;
de l’image qu’il fallait périr;
de l’enfin qu’il fallait soupir.
Noir absolu,
tout seul
sur ton astéroïde au milieu des astéroïdes,
sur ton soleil au milieu des soleils,
sur ton monde au milieu des mondes.
Plus rien.
Fini.
Lexique:
Limite (1ère): valeur finie dont une grandeur finit par se rapprocher.
Exemple: tu peux repousser à demain ce qu’il y a d’essentiel dans ta vie, mais un jour ou l’autre il faudra bien t’y mettre: la fonction flemme possède donc une limite.
Contrexemple: tu peux compter les étoiles dans le ciel sans jamais atteindre une limite.
Fonction périodique (2nde): fonction dont les valeurs se répètent identiquement au cours du temps. Exemple: le déplacement des oiseaux migrateurs sur la Terre était périodique avant que les effets de la pollution ne perturbent tout.
L’idée de fonction périodique est intimement liée à celle de rythme. Les rythmes et donc les fonctions périodiques sont au cœur de notre existence: battements de ton cœur, heures de sommeil dont tu as besoin, nombre d’exercices donnés chaque semaine par ton prof de maths, l’histoire de ta vie qui semble se répéter expérience après expérience.
Fonction croissante (2nde): fonction qui augmente sans jamais diminuer.
Exemples: les soucis (pour certaines personnes); l’absence de soucis (pour d’autres…)
Contrexemple: l’espoir en l’avenir recule souvent de quatre pas après avoir avancé d’un seul.
Polygone des contraintes (1ère STG): ensemble des valeurs possible pour x et y en fonction des contraintes de l’énoncé. Exemple: l’ensemble des aspirations que tu t’autorises à exprimer est limité par le polygone ICQ, I=l’image que les autres doivent avoir de moi, C=ma crainte pour l’inconnu, Q=les contingences quotidiennes
Bulles, pluie et vent (maternelle supérieure):
Exemple: bulles de savon soufflées par un enfant un après midi de printemps. Pluie sans contours qui dessine sur le carreau les lignes de ta tristesse. Vent d’autan, vitesse du temps, va-t’en et laisse moi contempler le ciel sereinement.
L’inconnue (4ème): la grandeur x que l’on cherche à situer mais qu’on ne trouve jamais.
Exemple:
Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
d’une femme inconnue et que j’aime et qui m’aime
et qui n’est chaque fois ni tout à fait la même
ni tout à fait une autre et m’aime et me comprend… (4)
Réels et imaginaires (Tle S, 1ère STI): Gauss (XIXe) a imaginé le plan complexe, système de représentation dans lequel les nombres réels sont en abscisse et les nombres imaginaires en ordonnée.
Courbes asymptotiques (Tle): courbe simple constituant l’ossature d’une autre courbe plus compliquée.
Exemple: le rêve devrait toujours être à l’asymptote de l’action.
Dimension (bac+5): saut de la pensée par lequel une courbe peut par exemple recouvrir tout un plan. On peut définir avec n le facteur d’« augmentation » pour un agrandissement de rapport k. La dimension est alors donnée par la formule « d » ci-dessous. Par exemple dans un agrandissement de rapport k, une surface voit son aire augmenter de k^2 d’où la dimension 2 d’une surface classique.
Dans le cas de la courbe du flocon de neige de von Koch, si on prend la courbe limite (celle du bas) et qu’on la zoome 3 fois, on obtient elle même en quatre exemplaires, d’où n=4 et k=3 d’où la dimension non entière 1,262 de cette courbe.
Certains aspects changent à partir de la dimension 5 (les polyèdres réguliers s’appauvrissent, les équations plynômiales ne sont plus apprivoisées…)
Plusieurs modèles mathématiques existent pour la dimension 4; celui adopté pour la relativité adopte le temps comme quatrième dimension dans un espace non euclidien.
À présent je t’aime en deux dimensions
comme une figure étrusque
un tableau de Klee qui fut poisson
tu t’avances dodécaphonique
exaspérante,
fulgurante
belle…
…avec dans ta jupe plissée
une vague des Caraïbes
visage idôle eau
arrivée à moi
comme la lumière d’une étoile
qui aurait disparu depuis des siècles
À présent je t’aime en deux dimensions. (5)
(1) Hayao Miyazaki, Princesse Mononokê
(2) Claude Roy, la nuit
(3) Arthur C. Clarke dans 2001 l’odyssée de l’espace (repris par Kubrick) remarque que le nombre d’humains ayant vécu sur la Terre jusqu’à ce jour est d’environ cent milliard, équivalent à celui des étoiles dans notre galaxie.
(4) Verlaine, Mon rêve familier (Poèmes saturniens)
(5) Odysseus Elytis (écrivain grec, prix Nobel), Hymne en deux dimensions.